Depuis 2021, la santé mentale est devenue le nom d’une politique publique de premier plan justifiant l’intervention de l’État dans l’organisation des soins psychiatriques et la promotion du bien-être des citoyens.
Ce dossier propose de revenir sur les origines de ce concept de « santé mentale » : à quel concept s’oppose-t-il ? Comment s’incarne-t-il dans la prise en charge des patients ?
Dans Carnet Psy, N° 2022/24
À l’occasion de la crise sanitaire, le Ministère de la Santé alertait en octobre 2021 contre une « troisième vague » d’un nouveau genre : une vague psychiatrique. La raison en serait principalement le confinement, responsable d’une dégradation lente de la « santé mentale » des Français.
Depuis lors, le terme de « santé mentale » s’est imposé dans le discours public comme un enjeu prioritaire de santé. Des « Assises de la santé mentale et de la psychiatrie » de novembre 2021 à la mise en place du dispositif « Mon Psy » permettant de rembourser les consultations de psychologie dès février 2022, la santé mentale est devenue le nom d’une politique publique de premier plan justifiant l’intervention de l’État dans l’organisation des soins psychiatriques et la promotion du bien-être des citoyens.
Dans la déclaration d’Alma-Ata de 1978, l’OMS définit la santé à partir de deux critères : l’un, positif, qui fait de la santé « un état complet de bien-être physique, mental et social » et, l’autre, en creux, qui définit la santé comme « l’absence de maladie ou d’infirmité ». Mais l’extension de cette définition au domaine de la « santé mentale » s’avère problématique pour plusieurs raisons. D’abord, comment se manifesterait cet état de bien-être mental ? On voit difficilement quels critères pourraient faire consensus pour évaluer la santé mentale tant celle-ci renvoie à un état intérieur et subjectif, au croisement de l’intime et de la société, qui échappe à une définition univoque et totalisante – sans doute parce que le bien-être des uns n’est pas forcément celui des autres…
En outre, le terme de « santé mentale » présuppose un clivage entre le normal et le pathologique. Or, contrairement aux maux somatiques, les phénomènes mentaux n’ont pas à proprement parler de marqueurs biologiques permettant une quantification et la détermination d’un seuil pathologique. Néanmoins, ils s’observent, dans le discours des individus, dans leurs comportements aussi. Et ce qu’on observe, c’est un continuum entre ce qui relève du normal et du pathologique.
Ce dossier propose de revenir sur les origines de ce concept de « santé mentale » à partir de deux questions : à quel concept s’oppose-t-il ? Comment s’incarne-t-il dans la prise en charge des patients ? Un premier article reviendra sur l’émergence du concept, au milieu du XXe siècle. Le second suivra une équipe de psychiatres qui s’est efforcée, depuis 30 ans, de mettre en place et d’incarner au plus près des « usagers » les préceptes promus par le concept de santé mentale au sein d’un secteur psychiatrique lillois.
Le troisième article montrera les difficultés toujours actuelles auxquelles sont confrontés psychiatres et philosophes dans la définition des troubles mentaux.