« Il était une fois… un groupe conte » Extrait d’un article écrit par Elsa BÉNICHOU (psychomotricienne), Maryse NAUROY (orthophoniste) et Louisa OLIVARI (éducatrice spécialisée), professionnelles au sein d’un service de pédopsychiatrie. Article paru dans le livre « Les médiations thérapeutiques » sous la direction de Charlotte MARCILHACY (psychologue clinicienne) pages 229-231. Collection SEPEA – Éditions IN PRESS.
1.3. Le conteur à l’œuvre
Choisir tel conte plutôt qu’un autre, le sentir résonner en soi et avoir le désir de le transmettre, fait appel à la « capacité de rêverie maternelle » (Bion, 1962) du soignant. Plus qu’une démarche rationnelle, le choix d’un conte mobilise la part d’enfant en soi et témoigne des mouvements contre-transférentiels et de la fantasmatique groupale inconsciente dans laquelle, en tant que cliniciens, nous sommes également impliqués. Au-delà du choix des mots et des tournures de phrases, celui qui conte donne son interprétation et accepte ainsi de s’exposer consciemment et inconsciemment par ses intonations de voix, son rythme, ses silences, ses regards, ses mouvements. Cette mise en corps du conte est importante pour des enfants qui ne peuvent pas suffisamment prendre appui sur le maniement symbolique de la langue. Le plaisir du conteur à produire un récit, à le moduler et à le broder initie les enfants au plaisir d’inventer, de raconter, de jouer avec les mots. Paradoxalement, il est primordial que le conteur se détache alternativement de l’auditoire pour pouvoir diffuser le conte, et du conte pour ne pas perdre le lien avec un enfant en particulier, voire l’ensemble du groupe. Dans cette optique, les co-thérapeutes sont pour lui un appui solide, voire même un point de repère. Leur écoute soutient celle des enfants. Ce sont également eux qui interviennent pour permettre le conte, quand un enfant souhaite par exemple raconter l’histoire en même temps que le conteur, ou veut empêcher les autres d’écouter. Le conte et la fonction contenante du dispositif permettent à l’enfant d’éprouver une position d’écoute en lien avec sa subjectivité et son histoire. Le monde interne de chacun peut, dans ces conditions, se laisser imprégner par le symbolisme des contes.
1.4. Un accordage parole/écoute
La transmission orale du conte repose sur un contrat tacite entre celui qui a envie de conter et celui qui a envie d’écouter. C’est ce que Lafforgue (1995, p.197) appelle « le pacte narratif ». Par son récit, le conteur fait un don à celui qui écoute mais il ne sait pas, au fond, ce que l’autre en reçoit. Le moment de la narration implique toujours une certaine prise en compte et considération du corps parlant comme du corps écoutant. En effet, l’attention des enfants est portée, nous semble-t-il, par la mimogestualité du conteur, sa voix, ses intonations et son rythme qui, plus encore que les mots eux-mêmes, révèlent ses affects et ses émotions dans un échange d’inconscient à inconscient, de corps à corps. Le conteur, de son côté, est influencé par ce que renvoient les enfants à travers leurs corps et leurs mots […] D’une certaine manière, le conte comme échange verbal, tonique et émotionnel entre le conteur et les écoutants, réinvente la chorégraphie des premières interactions mère-enfant, et réactualise ce travail d’accordage et de genèse de la symbolisation qui passe nécessairement par un autre sujet (Brun, 2012, p.200).
Bibliographie de l’extrait BION, W.R. (1962). Aux sources de l’expérience, Paris, PUF, 1979.
BRUN,A. (2012) « La médiation thérapeutique du conte dans la psychose infantile et l’autisme », in Kaës, R. et al.,
Contes et divans – Médiation du conte dans la vie psychique, Paris, Dunod, p. 193-222 LAFFORGUE, P. (1995). Petit poucet deviendra grand, Paris, Payot et Rivages, éd. 2002.