Un métier d’avant-garde peut-être pas si bien connu ?

Monique BUSQUET

Psychomotricienne, Formatrice, Chroniqueuse Les pros de la petite enfance, Auteure de « Voyage au coeur de la crèche », Librinova et Heureux dans son corps, heureux à la crèche, Dunod.

En cette année des 50 ans de notre diplôme D’État, j’ai envie de partager mon regard sur cette profession. Je suis en effet souvent perplexe de constater que les questions de reconnaissance ou de légitimité que j’ai connu durant mes études dans les années 80, sont finalement encore présentes.

Il est vrai que cette profession a, depuis sa création, souvent été perçue comme un métier « entre deux chaises », à l’inter secteur entre le monde de la santé et de la psychologie.  Et de ce fait, elle peut être difficile à appréhender ou réduite à l’une de ses facettes et composantes :  ni kinésithérapeute, ni psychologue, ni prof de gym, ni animateur…  

Le concept de psychomotricité est né dans le champ de la psychiatrie, avec la reconnaissance du corps comme lieu d’expériences, mode d’entrée et lieu d’expression de la vie psychique, affective et cognitive. De fait, les études de psychomotricité, assez denses, sont constituées à la fois de psychologie (dans ses différents courants théoriques et cliniques), de physiologie, anatomie, neurologie, de psychopathologie et de nombreuses pratiques corporelles et relaxations.

Voici quelques concepts clés, socles de l’approche psychomotrice :

  •  L’humain est un être de sensations et d’émotions, un être de relations, d’interactions et de communication.
  •  Le corps est au centre de ses premières interactions. Il est lieu de perception de ce qui l’entoure. Il est lieu des émotions. Il en est traversé, remué, agi et parfois agité. Il est antenne et réceptacle de celles des autres qu’il perçoit et fait siennes, au travers du dialogue tonique ou tonico-émotionnel. Il est lieu d’imprégnation, d’inscription et de mémoire de tout ce qui est vécu, perçu, agi, lieu de mémoires inconscientes individuelles, familiales et transgénérationnelles.
  • Il est à la fois constitutif, porte d’entrée et mode d’expression de la vie psychique. Il est lieu de construction de soi, de son identité psychique et corporelle, de son sentiment d’exister, lieu de relation aux autres et lieu d’expression de soi.
  • Le développement de l’enfant et sa qualité se fait sous l’influence de trois grands facteurs qui interagissent tout au long de la vie : son équipement, son environnement psychoaffectif et ses enjeux relationnels, ses expérimentations vécues dans son environnement.
  • Le mouvement est à la fois activité spontanée, besoin physiologique, expérience sensorielle, processus émotionnel, mode d’action et de relation. Les mouvements, (gestes, postures, modifications toniques) résultent d’une boucle sensorimotrice et émotionnelle (ensemble des sensorialités, perception et traitement cérébral, intention, préparation de l’action, mise en mouvement…). Ils sont la partie visible et émergée d’un immense iceberg multifactoriel, constitué la fois de processus biologique, physiologique, psychique, subjectif, cognitif, plus ou moins conscients.
  • La pensée se développe sous l’influence de processus de maturation cérébraux et psychiques, d’expérimentations sensorimotrices et de l’accompagnement par les adultes.
  • Le corps est un système dynamique, lui-même au centre d’ensembles dynamiques. Chaque membre du corps, chaque partie de l’organisme est la partie d’un tout et agit sur le tout. Tout est relié et chaque sphère du développement agit sur l’ensemble. Chacun est aussi membre d’un tout.  Ainsi l’enfant se construit dans sa famille, et dans un environnement social et sociétal, à travers les liens qui s’y tissent, selon leur qualité et dans des enjeux et effets réciproques.

Le psychomotricien exerce ce métier du « être avec », du lien à l’autre, avec la qualité de sa présence et de son écoute, ici et maintenant. Il s’engage dans la relation, attentif à ce qui se joue dans la rencontre, au-delà des mots (les regards, le tonus, les mouvements émotionnels, la respiration, le ton de la voix, les réactions de prestance, les postures, les organisations motrices, les distances, les sphères proxémiques etc.) Il perçoit ce qu’il peut y avoir derrière les mouvements et les comportements, les modes d’être, d’agir et de réagir, de communiquer et de penser. Il sait la complexité de ce qui peut se vivre en profondeur au-delà du visible en surface. Ainsi il regarde les difficultés, il en connait les nombreuses causes possibles et leurs influences réciproques.

Il connait l’impact du passé, ses inscriptions corporelles et cérébrales, les mémoires et les processus non conscients. Il travaille à partir du présent, de ce qui émerge aujourd’hui, pour préparer les socles de demain, et le devenir de la personne. Il travaille à partir de ce qui se vit, se montre, ce qui est là et œuvre à partir des possibles.

Il travaille avec l’enfant et son entourage, en prenant en compte les effets de l’un sur l’autre et réciproquement.  La vie psychique prend naissance dans le corporel et s’y exprime. 

Ainsi le psychomotricien, par sa formation initiale et continue, porte un regard global et sensible sur l’humain, à tout âge de la vie.

Il choisit ses propositions, ses médiations et modalités de soin, selon la personne avec qui il travaille, son âge et ses besoins, selon ses espaces de travail.  Il peut ainsi proposer mises en mouvement, créativité, jeu, explorations, appuis et enveloppes, relaxations, dans des espaces protecteurs. Il est formé à pouvoir prendre en compte aussi bien les sphères sensorielle, motrice, psychique, émotionnelle, affective, cognitive qui s’entrecroisent.

Il travaille avec des publics variés, dans différents cadres, de thérapie ou de prévention.

Il peut également voyager à travers différents champs de pensée et de connaissances, utiliser diverses perspectives et vocabulaires, reconnaissant que chaque mot est une représentation, un code recouvrant des réalités profondes et complexes.

 Il est un métier de mouvement et d’équilibre, qui conjugue souplesse et ajustement, axe et enracinement, autant corporels que psychiques. Il est un métier des liens, des rouages et interstices autant à l’intérieur de chacun qu’entre les uns et les autres.

Un métier qui sait à la fois tout ce qu’il y a derrière la simplicité apparente du geste de saisir un framboise et les effets possibles des battements d’aile d’un papillon.

Un métier du prendre soin de l’autre comme sujet !